Tandis que l’emménagement à Paris absorbe le plus clair de mon temps, les quelques jours passés à Vienne continuent d’occuper, en filigrane, mes pensées. Une échappatoire agréable devant le désespoir suscité par le 87e carton de livres, le 32e tableau à accrocher sur des murs déjà largement occupés par les rayonnages de bibliothèque, ou le 453e objet à disposer sur les étagères saturées. C’est ainsi, quand on arrive un peu tard dans la vie d’un homme, que ce dernier apprécie lui aussi la littérature, l’histoire, l’art, qu’il a un peu voyagé et constitué sa petite collection personnelle bien avant vous…
Mais revenons à Vienne. Comme je le disais dans mes précédents billets, j’y ai passé trois jours seulement, pas assez pour en explorer toutes les facettes, mais suffisant pour s’attacher à l’atmosphère unique de cette ville. Je me suis sentie chez moi à Vienne, une expérience que je n’ai vécue que de rares fois, presque toujours en Italie, ma « seconde patrie » après la France.
Dans mes découvertes viennoises, j’ai eu la chance d’être guidée par Mingoumango, qui connaît la ville par coeur et nous fait régulièrement partager ses souvenirs viennois dans ses billets. Sans elle, je serais sans doute passée à côté d’excellentes adresses comme le café Diglas, l’épicerie Julius Meinl (en gros, la Grande Epicerie de Vienne), et bien d’autres choses encore. Il suffit de jeter un oeil sur son blog pour avoir un aperçu de la vie viennoise.
Dégustation de l’incontournable Sachertorte à l’Hôtel Sacher, de canapés colorés chez Trzesniewski, d’un café chez Hawelka (un endroit mythique, fondé dans les années 30 et encore tenu par son fondateur Leopold Hawelka… madame étant décédée en 2005), quelques courses chez Julius Meinl et au Naschmarkt, un marché où, en grignotant une barquette de groseilles à maquereau, j’ai croisé des produits inattendus, entre autres des graines de wasabi par kilos entiers (j’ignore si c’est la saison du wasabi en ce moment (^^) ou si c’est une tendance de la mode culinaire locale, mais cette omniprésence du wasabi sur les étals du marché viennois est surprenante).
Côté nourritures de l’esprit, il y a tout de même, à Vienne, au Kunsthistorisches Museum, entre autres beautés, la plus importante collection de peintures de Brueghel au monde et une magnifique collection d’instruments de musique ; mais aussi, au Belvedere et au musée Leopold, des Klimt inoubliables. Et puis aussi le Jugement dernier de Jérôme Bosch à l’Akademie der bildenden Künste.
Plus que tout, j’ai aimé flâner dans les rues, sourire devant des vitrines d’horlogerie et d’énormes créations pâtissières au décor très kitch, sillonner la ville en tram, savourer l’irrésistible accent viennois (je comprends la nostalgie de Mingoumango concernant les annonces des stations de tram…) ; prolonger les pauses café avec un journal, sur fond de musique classique, le tout dans un décor un peu suranné. So gemütlich…
Le colloque de musicologie, dans tout cela ? J’ai fait mon devoir, mais je n’allais tout de même pas m’enfermer trop longtemps dans les salles surchauffées de l’Université, il faisait si beau et si chaud dehors…
Voilà en quelques mots, et quelques images pour illustrer tout cela.
Hélas, je n’ai pas de recette à vous proposer aujourd’hui. La cuisine est à l’image de l’appartement, un chantier. Epicerie, confitures, vaisselle et casseroles arrivent aujourd’hui, en principe… Mais j’attends toujours de retrouver une connexion internet pour faire un vrai come back culinaire ! Merci en tout cas pour vos nombreux commentaires de ces derniers jours, et surtout merci à Nadia de Paprikas pour m’avoir fait une si belle pub !
Au lieu d’une recette, je vais vous raconter une petite histoire culinaire dans la Grande Histoire, une histoire qui relie Vienne à Paris.
Savez-vous que le croissant a été inventé à Vienne, en Autriche ? Sinon, pourquoi appelle-t-on « viennoiseries » les préparations feuilletées et briochées dont nous sommes si fiers, en France ?
A l’époque où l’Autriche avait pour voisin immédiat l’Empire ottoman, la grande terreur de l’Europe chrétienne était le Turc. Aujourd’hui les choses n’ont peut-être pas tant changé que cela, n’est-ce pas ? Mais restons-en au passé, cela évitera des polémiques.
Par sa situation géographique, Vienne était aux premières loges en cas d’avancée ottomane vers l’Ouest. Lors du siège de la capitale autrichienne par les Ottomans, en 1683, les boulangers donnèrent l’alerte en pleine nuit (évidemment, ils étaient les seuls à travailler à une heure pareille), ce qui permit de sauver la ville de l’assaut ennemi. Pour immortaliser la victoire sur l’Infidèle, les boulangers viennois reçurent le privilège de fabriquer une pâtisserie : le Hörnchen, « petite corne » en allemand, allusion évidente au croissant, emblème de l’Empire ottoman.
des Hörnchen viennois qui ont bien gardé leur forme en croissant
On raconte également qu’en s’enfuyant de Vienne, les Turcs laissèrent derrière eux des sacs de café. Un certain Franz Georg Kolschitski aurait récupéré ces sacs et ouvert le premier café de Vienne. Il proposait la boisson additionnée d’un trait de lait (le principe de base du café viennois) et accompagnée d’un croissant. Café + lait + croissant : voilà un trio dont le succès ne s’est jamais démenti.
Quant aux croissants, ils ne furent introduits en France qu’un siècle plus tard, en 1770, par… une Autrichienne, la reine Marie-Antoinette. A l’origine, le Hörnchen était fabriqué dans une sorte de pâte à pain. Les divins petits feuilletés que nous connaissons aujourd’hui ne sont nés que vers 1920 : oui, ce secret est une invention française, et depuis cette date les croissants français sont les meilleurs du monde, comme chacun sait